10 janvier 2023,
PHILIPPE DE GOBERT – CARINE GUIMBARD
LA VILLA CAVROIS – En perspective
A quelques dizaines de kilomètres de la villa Cavrois à Croix dans le département du Nord, de l’autre côté de la frontière, en Belgique, nous découvrons en haut d’une voie bordée d’arbres d’un côté et de villas sur deux étages de l’autre, notre point de rendez-vous.
Une maison de charme aux formes simples qui appelle à découvrir l’univers de l’artiste.
Quelques pas sur une avancée pavée non clôturée, bordée d’une végétation légèrement organisée et nous sommes sur le seuil de la porte. Un long couloir dessert les différents espaces qui composent l’atelier de Philipe De Gobert.
C’est à l’occasion d’une visite de travail afin de préparer la future exposition En perspective, que nous nous sommes mis à l’écart pour échanger avec Philippe De Gobert autour de l’acte de création et de sa relation à l’architecture des années 1930.
La première pièce de l’atelier permet l’installation de photographies de grandes tailles, nous nous retrouvons dans une pièce reculée composée d’archives et de documents puis nous débutons cet entretien.
CG – Quel est l’élément déclencheur qui va mobiliser ton attention et lancer la recherche artistique?
PDC- L’élément déclencheur est généralement une image photographique en noir et blanc. Ce qui m’intéresse dans cette image, c’est ce que je pourrais en retirer en reconstituant une maquette, en l’éclairant d’une certaine manière, ce qui permet de retrouver l’atmosphère qui existe dans les images. Voilà ce que je recherche. Et c’est souvent ce type d’image qui déclenche mon intérêt pour l’une ou l’autre architecture, l’un ou l’autre lieu.
CG – Pouvons-nous retrouver une récurrence autour de l’architecture des années 1930, ou pas forcément?
PDC – Je constate que dans les choix que je fais, je retourne souvent à ces périodes-là. C’est peut-être dû au type d’architecture des années 30, à la simplicité dans les volumes, par exemple. On y évite tout ce qui est décoratif pour favoriser le volume pur, la manière dont la lumière est utilisée et dont elle réagit dans ce volume, ainsi que notre perception de ces espaces.
CG – La question de la lumière est intéressante, car elle se retrouve très précisément dans tes photographies.
PDC – Elle est essentielle dans mes photographies. C’est peut-être pour cela que j’y suis amené, car je suis photographe de formation et je pense que j’ai tenté de retrouver, dans la construction des maquettes, ce que je ne parvenais pas à obtenir en photographie, dans la réalité.
Dans la maquette, je peux, à la fois, maîtriser les volumes, maîtriser la lumière et aussi le recul. Ce que l’on ne sait pas faire quand on est photographe d’architecture où l’on est tributaire de la réalité, c’est-à-dire du temps, de la lumière etc.
CG – J’ai l’impression que l’on est face à un glissement mémoriel dans tes recherches. Au démarrage, tu travailles à partir d’un document d’archive, tu ne vas pas visiter le lieu en question. En tout cas pas systématiquement et je me demande si tu commences souvent à partir de photographies en noir et blanc ou anciennes, qui éloignent un peu plus encore la réalité.
PDC – J’ai en effet, une préférence pour ce type de documents pauvres où l’on trouve une sorte de synthèse en oubliant les détails, les particularités présentes dans la couleur, mais qui sont éliminées dans le noir et blanc.
C’était très clair dans mon travail sur la Villa Wittgenstein. J’ai retrouvé des documents d’époque, en noir et blanc, réalisés tout au début. Ils ont été les éléments déclencheurs.
En effectuant des recherches, j’ai trouvé des documents plus récents, des images en couleurs que j’ai jugées sans intérêt, en tout cas pour moi.
En ce qui concerne la Villa Cavrois, tous les dessins que j’ai réalisés partent de documents anciens, de photos anciennes.
CG – Tu pars donc, le plus souvent, d’un document noir et blanc, mais tu vas, à un certain moment réaliser une interprétation en couleurs, quitte à le basculer de nouveau en valeurs de gris et en noir et blanc, lorsque tu réutilises la photographie.
PDC – C’est exact. Dans le cas des petites constructions colorées qui partent de la Villa Cavrois, il s’agit d’un jeu sur la couleur elle-même. Ces constructions colorées ne servent pas à faire de la photographie, car elles doivent être perçues en 3D. Si on les re-photographie, cela ne fonctionne pas. Elles sont déjà en perspective et la photo offrirait une perspective différente.
En revanche, j’ai travaillé sur l’une des pièces de la Villa que j’ai reconstruite dans la réalité et c’est la photographie qui a donné la perspective. Mais concernant chacune des autres petites constructions, la perspective est dans l’objet lui-même.
CG – L’usage du document est plus clair, effectivement, car cela découle de la même logique que lorsque tu t’intéresses aux formes simples, rectilignes, de l’architecture des années 1930. Dans le modernisme, il existe des relations de formes réduites à l’essentiel.
PDG – Oui, c’est cela qui m’intéresse le plus et si l’on reprend tous les types d’architecture auxquels je me suis intéressé, il s’agit le plus souvent de ces formes-là. L’Art nouveau ne m’intéresse pas. Je ne vois pas ce que je pourrais créer dans cet univers-là.
CG- As-tu un lien d’intimité plus fort avec certaines réalisations architecturales, retrouves-tu des récurrences, des incontournables au cœur de tes recherches ?
PDG- Les architectures modernistes des années20-30 m’ont toujours fort intéressé : la villa
Wittgenstein à Vienne par exemple, par sa simplicité et sa rigueur ; et aussi tout ce qui
est lié au mouvement De Stijl ,Théo van Doesburg pour ses dessins, ses peintures, le
traitement de la couleur dans ses perspectives en axonométrie.
CG – Penses-tu qu’il soit important pour le visiteur d’identifier si l’espace que tu lui offres à découvrir est fictionnel ou réel ?
PDG- Peu m’importe que le regardeur fasse la part entre le fictionnel et le réel, chacun a sa
vision, sa perception personnelle de ce qui l’entoure. La réalité ne serait qu’une projection de notre propre imaginaire. On ne voit que ce que l’on veut bien y voir.
CG- Comment expliques-tu l’absence de représentation humaine dans ton travail ?
PDG- – Comme je travaille sur des maquettes assez approximatives, et de petite échelle :
y introduire des personnages devrait se faire par le biais de petites poupées figées,
sans vie .
La seule présence humaine acceptable serait celle que le regardeur se projette en s’imaginant y figurer lui-même. C’est au visiteur d’habiter les lieux, d’y pénétrer avec son cerveau.
CG- Quel est ton rapport à la notion d’échelle ?
PDG- Quant au traitement de la perspective dans mes constructions en 3D, elle est une transposition de la perspective intrinsèque à l’image photographique en 2D, ce qui rend sa réalisation en volume compliquée. C’est un compromis entre une perspective avec point de fuite et une axonométrie.
Notre dialogue prend fin, et une multitude d’images, d’objets en noir et blanc et en couleur m’habite. Des maquettes aux perspectives complexes, réinventées, réinterprétées plusieurs fois, ce vertige entre miniature et clichés de grande taille. Nous repartons vers le château moderne hantés par ces perspectives, cette recherche inlassable de la lumière et du point de vue.
Nous ne regarderons plus jamais de la même façon la chambre De Stilj qui restera associée longuement aux expérimentations de Philippe de Gobert.
Nous reprenons la voiture blanche sous la pluie et s’entrechoquent ce dialogue, la rigueur, la persévérance et la chance d’avoir découvert le travail de Philippe de Gobert ou la radicalité rime avec poétique.